Achat hier, chez
Sennelier, d'ardoise en pigment (ardoise pilée).
Essais
J'ai essayé de préparer le pigment comme je le fais habituellement :
Quelques gouttes d'huile de lin
+ quelques gouttes d'huile de lin polymérisée (standolie Sennelier)
+ quelques gouttes de vernis Dammar
Le pigment sec se présente sous forme d'une poudre, d'un beau gris clair, très légèrement verdâtre, d'apparence plutôt soyeux et doux.
Une fois mélangé à l'agglutinant, il s'assombrit pour donner un gris sombre, tirant, lui aussi, très légèrement sur le vert. La nuance en est assez belle, et c'est un gris plutôt froid.
En première application, c'est une déception.
La pâte obtenue manque de liant et d'homogénéité. Même en malaxant longtemps le mélange, le pigment ne s'assimile pas au liant et la pâte demeure granuleuse.
En étendant cette pâte au pinceau, je m'aperçois que le pigment ne colore pas suffisamment la touche. Il tend même à se dissocier du liant, pour former une pâte épaisse et impossible à travailler, sans tirant ni élasticité. J'incrimine en premier lieu la mauvaise qualité du support sur lequel j'ai travaillé. Il s'agit d'une toile légère (toile de récupération, apparemment de coton) que j'ai apprêtée à la colle de peau, mais insuffisamment. Du coup, ce support est très absorbant, ce qui a pour effet que le liant (mélange de vernis Dammar, d'huile de lin et d'essence de térébenthine) est immédiatement bu par le support, laissant le pigment passablement appauvri et mat en surface, et manifestement friable – j'attends le séchage complet pour vérifier ce dernier point, mais je crains que le résultat confirme cette impression.
Cela dit, le support n'est pas seul en cause, car j'ai procédé à d'autres tests sur d'autres toiles préparées de la même façon avec des couleurs en tube du commerce (notamment un rouge de cadmium foncé – imitation – magnifique) et cela n'a rien de comparable, même si là aussi la trop grande absorption par le support rend le travail malaisé. Dans ce dernier cas, ce sont bien les couleurs qui sont bues par le support et pas seulement le liant. Bref, le pigment reste solidaire du liant, alors que dans le cas de l'ardoise, il s'en dissocie évidemment.
Le résultat le plus satisfaisant pour l'instant, mais encore frustrant, est venu du mélange avec du blanc de titane, qui permet d'obtenir, d'une part, de belles nuances de gris, et d'autre part, d'homogénéiser la pâte (ce qui pourrait suggérer que ma préparation était trop chargée en agglutinant, mais cette explication est insuffisante, car tous les pigments que j'ai préparés de cette façon jusqu'ici, y compris les terres, ne se sont jamais comportés de cette façon, même très dilués). Cela dit, la pâte reste très incommode à travailler, la granulosité se confirme, et l'homogénéité reste imparfaite.
Mon troisième essai a consisté à travailler avec cette même couleur sur une toile déjà en cours, bien moins absorbante, à la fois du fait du support (acheté dans le commerce, et donc enduit avec une préparation moins absorbante que la colle de peau) et des couches de peinture déjà travaillées. Là encore, la déception est réelle. Le pigment ne tient pas dans le liant et persiste à s'en dissocier. De plus, il n'est absolument pas couvrant, ni colorant – encore moins que la terre verte, qui est la couleur jusqu'ici la moins couvrante que j'aie utilisée, même si je la trouve irremplaçable.
Pour résumer mes impressions, ce pigment me donne l'impression de se comporter beaucoup plus comme une charge (comme la poudre de marbre, par exemple), non neutre de surcroît, que comme un véritable pigment.
Je souhaite encore l'essayer de deux façons :
- comme charge dans l'encollage des toiles, en l'ajoutant au blanc de Meudon dans la préparation de l'enduit, ou seul, afin de voir s'il se comporte mieux dans la colle que dans l'huile, et si le support est intéressant (absorption, couleur, solidité,...)
- en matière, en utilisant un agglutinant plus gras et plastique, à base, notamment, de siccatif flamand.
Comme ce n'est pas une charge neutre, il est encore possible de l'adjoindre à d'autres pigments pour les épaissir et travailler en épaisseur. Je crains que cela rende la pâte friable, mais c'est à vérifier. Cela signifie aussi que les pigments y perdront leur teinte initiale et s'assombriront.
En faisant des recherches sur Internet, je remarque que l'ardoise en pigment est mentionnée surtout à propos de peinture décorative et de peinture à fresque. La tempera est également évoquée. L'industrie s'en sert aussi pour colorer des mastics, des bétons, des enduits.
Compte tenu du comportement du pigment avec l'huile, il me semble en effet qu'un liant plus collant, et séchant plus vite (il faudrait tester ce qu'il donne avec des émulsions) conviendrait mieux.
En outre, il me semble que les supports rigides sont à préférer aux toiles, car la souplesse du support risque de favoriser l'effritement de la pâte.
Pourtant, en dépit de toutes ces observations, j'ai découvert une mention de l'ardoise sous forme de pigment dans le catalogue Lefranc-Bourgeois, qui y fait référence au sujet du gris de Paynes (un gris, lui aussi irremplaçable). Le catalogue suggère que l'ardoise rentrait initialement dans la fabrication de ce gris. Cette référence (et caution, compte-tenu de l'expérience de Lefranc-Bourgeois) suggère donc malgré tout que l'utilisation d'ardoise sous forme de pigment en peinture à l'huile n'est pas impossible.