Peindre aboutit à faire paraître, par touchers successifs, quelque chose qui était caché. La peinture est une expérience haptique de l'être. Elle est comme un voile porté par un fantôme – sans voile, le fantôme reste invisible. Or le fantôme c'est le désir. Et la peinture aussi c'est le désir. Avec la peinture, le désir se drape lui-même, afin d'apparaître. En ce sens, peindre, c'est faire l'expérience du désir selon son mouvement propre. Le désir se démerde toujours pour apparaître et la peinture, c'est ça : la peinture, c'est la démerde du désir.

La peinture est une érotique de l'être. Pour peindre, il faut aimer (désirer, aimer... c'est à peu près pareil, je crois). La création me semble consister en ceci que le fait d'aimer amène quelque chose à l'être. La peinture est création en ceci qu'elle porte à l'être ce qu'elle réalise. Le désir, l'amour sont là, à l'œuvre dans mon boulot. Enfin, j'espère.

Le temps, c'est de l'amour. Peindre, ça prend du temps. C'est un acte qui s'inscrit dans la durée. Celle-ci consiste dans la durée de la fabrication, mais pas seulement. Le temps de la création rencontre aussi – en particulier – la temporalité du réel, qu'il faut savoir s'arrêter pour regarder, sentir, éprouver ; la temporalité de la matière dont les changements conditionnent l'aboutissement du travail ; la temporalité du regard qui découvre et rencontre le travail montré. On ne prend pas tout ce temps si l'on n'aime pas ce que l'on y fait, ce que l'on y découvre, ce que l'on y devient.

Le temps est un enfant qui joue et son sérieux est celui d'un enfant. Lorsque je me recule pour considérer mon travail, ou que je m'interroge sur les motifs qui me font peindre, je me dis que je voudrais y reconnaître quelque chose de tel : de ludique et de sérieux, quelque chose de l'amant et du créateur.

Emmanuel Bossennec